Ouya, chronique d’un échec

Haaa, la Ouya !
Symbole du renouveau indépendant du jeu vidéo, console financé par Kickstarter et dont le principal argument fut la liberté du développeur (et du joueur), à même de créer ou d’importer à peu près ce qu’il veut sur une machine, après tout, conçue pour lui.
Enfin, ça c’est pour la presse, dithyrambique et incroyablement enthousiaste envers le projet pour on ne sait quelles raisons. Quant aux joueurs et développeurs, le constat est bien différent : au mieux, curiosité passagère,  au pire, indifférence généralisée : voilà ce que fut l’annonce puis le suivi de la Ouya.

Pourtant, le projet fit partie de la vague « Kickstartienne » de 2012, lancé par Double Fine Production (Dont Broken Age, le titre qui à fait exploser le crowdfunding, confirme les possibilités incroyables qu’offrent le site pour l’édition de jeux vidéo), qui donna sa chance à tous types de projets, dont des consoles de jeux (avec, par exemple, le Gamestick qui réussit à se financer avant la Ouya). L’enthousiasme d’alors fut profitable aux créateurs du projet, qui peuvent désormais signer au bas de leur curriculum vitae « j’ai fait 8 millions 600 000 sur Kickstarter avec une console Androïd ».
Il faut dire que les débuts du Rubik’s Cube furent pour le moins grandiose. Une campagne kickstarter (La page Kickstarter) lancée le 11 juillet pour un total de deux millions de dollars en promesse de dons le soir-même, puis 8 millions 600 000 $ au dernier jour ( le 9 août 2012) : la console partait bien, surtout que tout au long de celle-ci se succèdent des annonces quant au support des développeurs envers le projet : une préquelle à Human Element (le jeu PS4 dont on ne connait rien) en exclusivité, le portage de jeux Final Fantasy par Square Enix, un FPS par les créateurs de Guitar Hero … Bref, la console part bien, elle a du soutien de mecs de l’industrie, c’est du tout bon.

Mais voilà, le succès du kickstarter et les belles promesses, ça ne fait pas tout. Système buggué, console au feeling cheap extrême, jeux déjà dispo sur Androïd ou inintéressant : le bilan, un an après la première distribution de la console, n’est pas bien reluisant.
Pourtant, le bon observateur aurait compris dès le départ que l’idée était mauvaise, et ça tombe bien, j’en suis un.  C’est donc un récapitulatif des défauts du concept que je me propose de faire ici, en vous expliquant pourquoi ce genre d’idée est mauvaise, inutile, et surtout pousser un petit coup de gueule contre ces projets objectivement médiocre qui arrivent, pourtant, à soulever les foules.

La page Kickstarter de la Ouya.
Une console Android ? Sérieusement ?

Petit rappel historique : Android est un système d’exploitation mobile, lancé en 2005 par une start-up (rachetée par Google depuis), qui l’officialisa le 5 novembre 2007. Face à l’iOS, Android représente aujourd’hui quelques 82% du marché des smartphones, ce qui est tout simplement énorme en 7 ans. 82% de smartphones Android, c’est autant de joueurs potentiels, et c’est pourquoi (tout comme l’AppStore) les développeurs se sont rués sur cette nouvelle plate-forme, aussi vierge qu’ouverte.
Soyons clair : le jeu mobile avant iOS et Appstore, c’était cela :


Du jeu moche, buggué et, en plus de cela, inintéressant. Ces nouvelles plateformes ont étés salvatrice pour le genre qui, profitant de l’évolution des portables, put enfin avoir un intérêt (Enfin, ça c’était avant les F2P/P2W/Zynga, mais ceci est un autre débat …).
Avec ces plateformes suivirent l’apparition de tout un marché autour du jeu mobile : portables toujours plus puissants, avec puces dédiés (les TEGRA de Nvidia) ou parfois clairement orientés gaming (le Xperia Play), Full HD, 4G, périphériques type manettes ou support, apparition des tablettes pour profiter du jeu sur un écran et une machine plus confortable … bref, le jeu mobile, c’était enfin quelque chose de sérieux.
Rien d’étonnant, du coup, à ce que certains pensent à pérenniser le Google Play ou l’Appstore comme vrais plateformes de jeux vidéo, et donc développer pour ceux-ci un périphérique uniquement tourné vers cela : la OUYA était née.

Le problème, c’est que l’intérêt du jeu sur mobile est justement dans l’adjectif qui le suit. Un jeu sur portable, vous y jouer ou vous voulez, quand vous voulez : c’est un jeu qui n’a pas de nécessité physique sinon la batterie de votre cellulaire. En train, en voiture, en avion, en marchant, vous pouvez y jouer où et quand ça vous chante. Une console, ça implique d’être chez soi, relié à la télé, avec une manette en main : c’est à l’inverse total de l’idée du jeu mobile, qui se doit d’être accessible partout et sans contrainte : pourquoi se faire ch… avec une console ?! De plus, les tablettes, arrivées sur le marché en même temps que les smartphones, proposaient déjà une expérience de gaming plus satisfaisante sur du hardware plus solide, mais aussi plus encombrant.
On a donc déjà un produit qui oubli totalement l’essence même du succès des jeux mobiles, en proposant un modèle, certes accessible, de plate-forme Android (100 dollars), mais non transportable. L’idée même est dès l’origine discutable : si le but de la console est, à l’instar de la PSVita TV ou de la PSP slim (proposant une sortie péritel) de pouvoir jouer sur la télé, pourquoi ne pas simplement en faire une sorte de hub avec manettes et sortie HDMI ? Ça aurait été moins cher et beaucoup plus intéressant.

Oui mais non. La Ouya n’a pas pour seule ambition d’être un « périphérique » Android : elle veut en être le versant gaming. Dans la tête des concepteurs, l’acquéreur du cube le faisait pour, non pas avoir accès aux jeux du Google Play en eux même, mais à une "sélection" des meilleurs.
La raison en est simple : devant l’absence de périphériques manettes satisfaisant, l’idée d’un produit dont les jeux seraient optimisés pour être joués et sur la machine (donc plus beau et plus fluides), et au pad traditionnel, semblait plaisante et à même de séduire les gamers.

Oui mais, comment dire … les gamers, ils ne jouent pas sur mobile. Ou, s’ils jouent, c’est soit à des Free-to-Play passe-temps type Angry Birds ou Flappy Bird, soit aux portages de jeux PC type GTA ou XCOM. Très peu sont intéressés par le nombre hallucinant de bouses présentes sur le Google Play, nombre s’expliquant par la très grande facilité de publication de la plate-forme.
Facilité de publication sur la plate-forme, c’est effectivement le maitre-mot responsable de son succès. A ce sujet, la Ouya voulait se présenter comme une plate-forme équivalente, ses créateurs certifiant la facilité de hacking et de publication sur la machine (ce qui est vrai, en témoigne le nombre important d’émulateurs qui y sont disponible).

Page d'accueil Ouya.
Oui, mais encore une fois : pourquoi un développeur indépendant, sans le sou et à la recherche d’une plate-forme touchant le maximum d’acheteurs potentiels, irait s’ennuyer à développer et adapter spécifiquement son jeu pour un parc de machine ridicule ? Les créateurs du projet pensaient, à tort, qu’une machine spécifique pour joueur les encourageraient à passer à la caisse, et donc enrichiraient les développeurs faisant l’effort d’adaptation. Reste qu’il faut plus que 60 000 Ouya pour espérer voir des profits, et si les premiers chiffres semblaient encourageants, la déception induite par le produit ne laisse pas place à beaucoup d’optimisme. Surtout après la révélation que seul 27% des joueurs passaient à la caisse…

Je ne vois, à vrai dire, qu’un seul argument au produit (deux à la rigueur) : le jeu multijoueur et le cloud. La console est petite, aisément transportable chez un ami : les branchements sont simple, et quatre docks manettes sont présents. Des jeux multi-joueurs, ça ne court pas les rues sur Android, et les développeurs pourraient donc profiter de la machine dans ce sens. Celle-ci étant conçue à la base pour être une plate-forme de "Free-to-try", le potentiel aurait put être la. En plus de cela, l'annonce de partenariat avec Onlive annonçait une volonté d'utilisation poussée du Cloud Gaming, qui aurait pu être effectivement salutaire pour le petit cube.
Certes, mais là encore problème : ça ne sert à rien, les gens s’en tape ! Les gamers qui achèteront la machine ont déjà une Xbox, une PS3 ou un PC, à la rigueur simplement une manette 360 : pourquoi dépenseraient-ils cent euros dans une machine proposant des sous-expériences, déjà dispos sur PC à prix modique ? Pas d’arguments concernant le prix d’un pc et tout l’argumentaire typique du consoleux : je vous renvoie à l’excellent article de mon confrère pour vous défaire de ces idées.
TowerFall, unique jeu intéressant à quatre sur la Ouya ... va sortir sur PC :)
La Ouya était donc morte-née, c’était clair, net et précis.

D’un intérêt totalement nul, la console n’est même pas parvenue à satisfaire son principal public : les développeurs, qui la laissent s’éteindre dans un coin de la rue des jeux vidéo, lui jetant des regards miséreux et lui donnant une aumône de temps en temps, par pitié.
Pour les joueurs, l’achat à 100 euros d’un téléphone portable Android low-cost, bien que plébiscité par 60 000 con-sommateurs, s’est avéré plus que décevant : la Ouya est moche, cheapos, dispose d’un catalogue de titres ridicule et d’arguments de vente qui ne le sont pas moins (même un an après sa sortie), et ses caractéristiques techniques sont déjà ridicules comparé aux nouvelles puce de Nvidia.
Pour les créateurs de jeux, la machine s’est tellement peu répandue que développer un titre pour celle-ci est un gaspillage de temps pour une rentabilité faible. Même l’adaptation d’un jeu sur une console au parc si réduit n’a aucune plus-value, et ce n’est pas FreeTheGame, l’opération fiasco (encore un) de la société, qui changera la donne.
C’est donc un échec, un échec pour un projet qui était de toute manière foireux à la base. La concurrence commençant à poindre (La M.O.J.O par exemple), il va falloir s’accrocher si ses concepteurs veulent s’en sortir.
En vendant une nouvelle console plus belle, en améliorant le software et le design (pour 30$ de plus tout de même), en signant de multiples partenariats externes au jeu vidéo (Twitch, Vevo, XBMC) et en rendant leur bibliothèque de jeux accessible sur d’autres support, peut-être arriveront-ils à rendre le produit un minimum intéressant.
Maintenant, il faut se rendre à l’évidence : pour 130$, vous avez une 3DS ; Pour 130$ ainsi qu’un abonnement téléphonique, vous avez une Ouya transportable qui fait en plus téléphone.
Sources :
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L'Avis De NeM

La OUYA était un paris, et même un paris risqué il faut avouer, elle aurait pu être intéressante, mais elle entrait en concurrence directe avec ceux qui avaient pignon sur rue : Microsoft, Sony, et prochainement Valve et sa SteamBox.
Et ce n’est pas par son prix qu’elle aurait pu se différencier, mais par son catalogue de jeu, hélas, milles fois hélas, ceux-ci n’ont pas été au rendez-vous.

La OUYA voulait apporter une dimension « multijoueur » locale aux jeux Android, si tant est qu’il y en ait, en proposant de jouer à 4 par exemple, mais les jeux de ce style étant aussi rare que sur console traditionnelle (le PC étant leader sur ce marché, quelle ironie !), ce fut peine perdu.

La OUYA était en avance sur son temps, son principale argument aurait été d’accueillir le Cloud Gaming à peu de frais, manque de bol, celui-ci n’est jamais arrivé à temps, et n’importe quelle SmartTV a déjà l’équipement nécessaire à diffuser ce genre de chose, la gamme Bravia de Sony étant en avance à ce niveau-là.

Enfin, le point le plus problématique pour moi était la manette : pourquoi dépenser de l’argent en recherche et développement alors qu’il aurait suffi de dire : compatible Pad Xbox 360 ; cela aurait mis tout le monde d’accord, la console aurait même pu être moins chère, et elle n’aurait pas eu autant mauvaise presse sur ce point précis.

Mais le pire dans cette aventure, c’est que cela n’a pas servi de leçon : la OUYA 2 est en chantier, et alors que le Cloud Gaming Local arrive bientôt avec les SteamBox et que les nouvelles consoles ce sont installé dans bon nombres de foyer, la guerre pour le salon s’annonce bien plus féroce !

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