Un problème de bits

Le retrogaming est rentré dans les mœurs, ça y est, la NES et la Supernes, qui ont bercés l'enfance de nombre de joueurs trentenaires, sont désormais le rêve de nouveaux joueurs "collectionneurs" se les arrachant car adeptes du "c'était  mieux avant". Une course à l'ancien amenant de véritables dérives en termes de prix pour ces anciens jeux : Auparavant tarifés à 5 euros en boite sous blister car personne n'en voulait, ils sont désormais vendus à prix d'or, presque introuvables et vénérés comme des reliques.


Je vous rassure, un prochaine article parlera de ces enfoirés qui vendent leurs vieux jeux des sommes folles, allant jusqu'à dépouiller tout les cash-converters et autres brocantes pour se faire des couilles en or sur notre dos, pauvres collectionneurs. Mais pour l'instant, nous allons au contraire tenter de tourner notre regard sur un problème relatif à cette mode du rétro : le style "x-bits".

Entendons nous bien : Le XVI-bits est cool, le XVI-bits est beau, mais le XVI-bits n'est vraiment pas très pr... Ha bah si, c'est pas mal pratique en fait ! Certains jeux de cette époque, comme Final Fantasy VI ou Secret Of Mana sont encore magnifiques par exemple. On peut également citer pèle-mêle Super Ghost'n'Ghoblins ou Super Mario World qui, sans être les baffes graphiques que furent les RPG précédemment cités, faisaient déjà preuve d'une direction artistique marquante, et d'univers originaux forts.
Il y a cependant une chose qu'il ne faut pas croire à tord : Que ces créateurs souhaitaient le pixel-art. C'est en effet tout à fait faux : Ils y étaient obligés par les limitations techniques des consoles et des logiciels, et tirèrent parti de ces faiblesses pour créer des jeux magnifiques. Le pixel-art n'est d'ailleurs pas forcément beau : Regardez par exemple la vidéo du Joueur du Grenier sur les jeux Color Dreams, ou celle sur les RPG : Ces jeux sont objectivement laids, ce ne sont que des amas de pixels qu'une direction artistique pauvre n'a pas su animer et qui, de ce fait, ne sont pas un exemple à suivre de nos jours.

Venons-en désormais au fait avec une petite anecdote : je suis un grand fan de la chaîne Nolife, que je regarde assidûment (et que je vous conseille de suivre également), notamment pour leurs critiques de jeux, argumentés et solides. C'est une de ces critiques qui m'a fait prendre conscience d'un gros problème du jeu vidéo actuel : celle de Phantom Breaker Battle Grounds.

Phantom Breaker Battle Grounds
Jeu somme toute sympathique, le testeur se laissait néanmoins aller, à la fin de son test, à une invective des plus singulière. Il reprocha en effet au jeu d'être une reprise des anciens jeux, et non un nouveau titre. à part le chara design, le testeur estimait que ce jeu n'apportait rien sinon un beat'em'all classique au jeu vidéo, et qu'autant son style graphique que son gameplay devaient être remis en cause : en 2013, souhaitons nous jouer aux jeux des années 90, ou voulons-nous quelque-chose de nouveau ?

Nous sommes désormais en 2014, et la question me hante d'autant plus l'esprit que la révolution des indés n'a jamais été aussi forte. Kickstarter et Steam Greenlight nous amènent régulièrement de nouveaux projets sur lesquels s'émerveiller, néanmoins la majorité des projets présentés sont ... comment dire ... datés. Il suffit de voir les projets sur Kickstarter : Un shoot en 2d 8-bit, un RPG 16-bit "Old-school", un hommage aux jeux 8-bits, un [insérer jeux de plate-forme ou RPG] en [Insérer nombre de bits allant jusqu'à 32], etc...
Cela n'est pas forcément un mauvais point : Après tout, l'innovation n'est innovation que quand elle est ponctuelle et subite. Un bon RPG de plus est bon à prendre, tout comme un shoot nerveux. Le style graphique, souvent vendu comme un "Hommage aux titres Super-Nintendo/Mégadrive/Saturn/PS1", n'est également pas un mauvais point en soi : les Indés ayant un budget serré, ce style parait tout à propos, d'autant que celui-ci est profondément lié au jeu vidéo.
On l'oublie souvent mais le Pixel-Art n'est apparu qu'avec le jeu vidéo. Comme dit plus haut, c'était bien une limitation avant tout mais qui était néanmoins intrinsèquement lié au média lui-même : quand on jouait aux jeux-vidéo, on jouait avec de bons gros pixels bien visibles. C'est d'ailleurs ce style qui a marqué les joueurs et la société de l'époque, d'une marque si profonde qu'il est désormais courant, quand on veut faire référence au jeu-vidéo, d'adopter une esthétique 8/16 bit.

2080, chanteur du pixel.

Oui mais au fait non, c'est un véritable problème. Le plus évident est que ce style est très souvent une excuse, un cache-misère, pour des indés en manque d'inspiration ou de talent : On peut citer Terraria, Delver, Organ Trail, Avernum, le récent Nidhogg, etc... (J'aurais bien mis Minecraft mais sa mocheté s'explique par les possibilités exceptionnelles qu'il propose). Autant ces jeux sont très intéressants en termes de GamePlay, autant leurs aspects graphiques repoussent et montrent clairement le manque d'ambitions artistiques de leurs créateurs. Un autre problème, bien plus important celui-la, est celui de la représentativité de ces jeux. Le jeu-vidéo a évolué : Il n'est plus contraint au Pixel-Art, aux GamePlays simples et aux histoires bateaux. Le jeu-vidéo est désormais un Art (et voila, c'est dit) aux multiples facettes, dont aucune ne doit être traité à la légère.
Et c'est bien la le soucis : un tel Pixel-Art (et/ou du même type de musique) est profonde inutile : Il n'apporte rien au style alors qu'il est utilisé comme un argument de vente, paradoxe que je ne comprendrais jamais. Utiliser un style 16-bit sans génie, juste pour éviter de dire "notre budget est serré, on est pas inspirés artistiquement", c'est être dans l'opportunisme nostalgique, essayer de vendre son jeu comme un hommage réactualisé d'anciens titres alors qu'il n'en est rien.
Je me permet ici une petite parenthèse pour évoquer la musique 8/16-bit, qui souffre peu ou proue du même problème que les jeux : Mal utilisé (ou pour les mauvaises raisons), celle-ci est simplement moche, passant de chiptune à cheaptune. Le problème est, par contre, exacerbé dans ce cas-ci : Une musique 8/16-bit mauvaise est généralement bien plus désagréable à entendre qu'une mauvaise musique actuelle, notamment à cause de leurs rythmiques plus brut, plus audible, avec par exemple des aiguës très prononcés qui, dans le cas d'une mauvaise exécution musicale, deviennent stridents et entêtants (dans le sens péjoratif du terme).

Oniken, exemple typique d'une mauvaise utilisation de l'esthétique 8bits.
Dans les jeux que j'ai cité, beaucoup sont excellents, Terraria et Minecraft en premier, néanmoins certains titres, comme Phantom Breaker, Nidhogg ou encore Organ Trail ne sont que des copies, des petites réactualisation d'anciens titres (Nidhogg => Hippodrome Organ Trail => Oregon Trail) qui, sans être mauvais, ne peuvent se vendre comme des jeux innovants à la patte artistique affirmé. L'exemple le plus typique (ainsi qu'assez connu) est Dragon Fantasy, un jeu PS Vita dont la particularité est d'être séparé en plusieurs "Book" dont chacun fait évoluer le style graphique => Le Book 1 est en 8bit, le Book 2 en 16bit. Le jeu est un RPG classique mais la n'est pas le problème : Son style graphique, voulu comme un hommage, est simplement moche. C'est un PixelArt brute, sans vie, sans génie, une simple copie moins bonne d'autres pattes artistiques de l'époque, l'hommage du pauvre en somme. Et pourtant, tout le monde en parle comme si on tenait là la quintessence de l'époque, un titre hommage ultra réussis dont les graphismes font immédiatement penser aux années 90.

De gauche à droite, en haut : Delver et Dragon Fantasy Book II
En bas : Dragon Fantasy Book I et Terraria
Non, non et non. Le 16-bit, utilisé tel quel, est néfaste au jeu vidéo. Il l'enferme dans une vision simpliste et enfantine du média, considérant qu'un amas de pixel suffit à faire un beau jeu, et que ceux-ci n'aspirent de toute façon qu'à produire un divertissement arcade écervelé. C'est faux, et les développeurs comme les joueurs doivent arrêter de supporter ce type de démarche s'ils veulent qu'un jour, le média soit enfin reconnu comme l'Art que ses pratiquants savent être.
Il ne faut cependant pas mésinterpréter mes propos. Le 16 bits n'est absolument pas à jeter : Bien utilisé, il donne lieu à de véritables petit chef d'oeuvre artistiques. Il me vient des noms comme Hyper Light Drifter, Fez, Rain World, Radio The Universe, Volgarr The Viking ou encore Risk Of Rain (pour ce dernier, beaucoup pourraient arguer le contraire, qu'il est justement pile dans ce que je dénonce. Il n'en est, selon moi, rien : Ce jeu dispose d'une véritable patte artistique tout en minimalisme, avec des designs et des décors soignés qui ne peuvent être l'oeuvre d'artistes non inspirés). Ces jeux la proposent un 16-bit qui a tout à fait sa place dans le monde vidéo-ludique : Beau, envoûtant, avec une patte artistique affirmé, c'est ce genre de 16 bit voulu et non imposé par restrictions budgétaires qu'il faut soutenir.
Pour autant, le jeu vidéo ne doit pas se limiter à ce style graphique : Des jeux comme The Swapper, Borderlands, Saints Row, Okami ou encore Scribblenauts Unlimited ont su imposer des GamePlays solides avec des ambiances graphiques originales et intéressantes. Le jeu-vidéo n'est plus un média balbutiant, limité par des machines sous-puissantes : Il est le croisement de l'image, du son, de la narration et de l’interactivité. Le média doit évoluer dans tout ces aspects, aucun ne doit être laissé sur le bas-côté.
On me rétorquera qu'un Borderlands à bien plus de budget qu'un Dragon Fantasy, et qu'il est donc normal qu'il soit plus ambitieux sur le plan artistique. Je répond que cela ne veut rien dire : Beaucoup d'Indés proposent des graphismes simples mais originaux et jolis sans passer par du pixel : Je pense par exemple à Braid ou à Chasing Aurora, ou encore les jeux Thatgamecompany reconnues pour leur patte artistique affirmé. La motivation est la clef : Des moteurs comme Unity permettent désormais aux créateurs sans le sou de disposer d'un moteur souple et pratique, capable d'afficher quantité de choses différentes à l'écran.

En haut, de gauche à droite : Radio The Universe, Rain World, Volgarr the Viking
En bas, Okami HD
Cette article, ultra-centré sur les graphismes, pourraient faire penser que je ne suis qu'un kikoolol plus accro au photo réalisme qu'au GamePlay. Je vous rassure, ça n'est pas le cas, et bon nombre de jeux que j'ai ici fustigé pour leur patte artistique sont en réalité excellents. Je ne critique par le jeu en lui-même, mais le créateur derrière qui considère que des graphismes ne sont pas importants. Au contraire, ceux-ci constituent un argument fondamental dans l'envie du joueur de jouer au jeu. Cela peut se comparer au choix du pain dans une boulangerie : tout le monde préférera un petit pain doré qu'une longue baguette noire trouée.

Les développeurs doivent comprendre que le style "x-bits" n'est pas une solution de facilité : C'est un choix artistique, et celui qui le sélectionne doit savoir dans quoi il s'engage. 

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L'Avis De NeM

Il y a bien des moyens de faire voyager un joueur, et cette mode « OldSchool » du 8/16bits est devenu l’un des plus répandus, surtout dans le jeu Indé à vrai dire, car pour être honnête, l’intérêt des grosses boites ne se trouve plus là, et peut-être que celui des joueurs non plus au final.
Cette mode ne fonctionne que pour certains types de jeu : les Platformer, les jRPG, les Beat-Them-All (Castle Crasher), les Shoots-Them-Up à la rigueur (Jamestown) et quelques genres exotiques indescriptibles (Terraria).
Manque de bol, si les Beat-Them-All me plaisent assez, les Platformer et les jRPG me sortent par tous les orifices, je suis donc un très mauvais client à ce niveau-là. Néanmoins, je testais récemment « CoinOp Story », un Platformer hommage aux vieux jeux sur borne d’arcade, bien que j’ai beaucoup aimé le concept, mon allergie pour la plate-forme m’empêchera de le finir.

La seule exception que je tolère au niveau des Platformer sont les jeux jouables à 4 à la manette (sur PC, évidement !).

Un point plus important, à présent : les petits jeux, c’est bien, mais cela ne fait pas avancer le schmilblick, nous sommes dans une ère où l’on peut raconter une histoire en balançant du graphisme, du design, et du GamePlay, et ce pour pas grand-chose : le moteur Unity est capable de miracle, le modding offre parfois des perles (SkyWind, ou Morrowind sur le moteur de Skyrim), et même l’Unreal Engine propose un SDK gratuit (payant à partir du moment où l’on commercialise et qu’on commence à engranger les deniers), alors pourquoi ce contenter d’un style « pixélisé » dans ces conditions ?

Un Tomb Raider 2013 aura su évoluer avec brio en prenant le meilleur de ce qui se faisait ailleurs, en trahissant presque son propre héritage, mais ce fut un vrai succès ! Alors certes, ce n’est pas un jeu rétro qui aurais évolué vers la 3D comme l’ont fait les Final Fantasy, mais cela reste un exemple d’évolution et de vision de l’avenir). 

C’est la preuve qu’il faut arrêter de regarder derrière soi et se lancer à corps perdu vers le futur.

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