Car,
quand on parle films ou jeux vidéo, le constat est sans appel : le
morbide, le glauque, le sombre et le violent dominent. Même les auteurs semblent atteints : dans le monde du cinéma par exemple, les films de Lars Von Trier
ou les grosses productions le revendiquent, à l’instar de Cloud Atlas ou Star
Trek. C’est également le cas dans le milieu vidéo ludique : d’Edmund
McMillen à Capcom en passant par Ubisoft, tous les créateurs semblent s’être donné
le mot pour faire de leurs œuvres des univers tristes, sombre et violet.
Est-ce
dû à une envie du public ? Oui et non. S’il est indéniable qu’une œuvre d’un
tel acabit ai un impact non négligeable sur le spectateur, il est de bon ton aujourd’hui de critiquer « la tuerie » et la « violence » présente partout (quitte à défendre des navets de comédie française avec
Kev’Adams ou Kad Merad…), prémices peut-être d’un changement de mentalité chez
le consommateur.
Toujours
est-il qu’on ne peut nier l’intérêt scénaristique de ce type d’œuvres : en
bousculant notre quotidien et en nous montrant des situations extrêmes,
l’auteur peut faire passer un message bien plus percutant et nous faire réfléchir beaucoup
plus profondément.
La réflexion, c’est malheureusement ce qui est assez absent
des jeux « gentillets » et « bon enfants ». Ceux-ci, à
l’instar d’un Mario ou d’un Journey (même si ce dernier, par sa poésie, peut
inviter à la méditation), ne proposent généralement pas de scénarisations très
poussé et se contentent d’offrir ce qu’ils sont, des JEUX vidéo.
Le
problème semble insoluble. Pour échapper à la violence, faut-il ne jouer qu’à
des jeux, en omettant l’aspect scénarisation et réflexion ? Ou au
contraire, faut-il accepter celle-ci comme inhérente à l’humain, et donc à la
culture ?
Vaste
problème dont la solution n’est pas, mais alors pas du tout, évidente. Un
constat s’impose derechef : le nombre de jeux violents, et par
extension à l’univers violent, ne cesse de s’accroître chaque années. Il
suffit de regarder une liste globale de jeux
sortis sur PS3 en 2012, puis en 2013, pour n’avoir qu’un petit aperçu de l’hégémonie de celle-ci dans le média.
Comprenons-nous
bien : la violence, la morosité, l’aspect « sombre » d’un univers
ou d’un scénario ne me dérange pas, quand ils sont bien faits. Le problème,
c’est que cette suprématie de la violence n’a pas vraiment lieu d’être dans la
plupart des cas.
Enfin,
c’est plus compliqué que cela. Effectivement, un Ninja Gaiden sans
démembrements ou sans ninja, l’intérêt s’en retrouve limité ; un FPS sans
tuerie, pareil. Ce que j’ai envie de critiquer, c’est l’ambition des
développeurs qui ne veulent plus créer que des jeux violents et de plus en plus
gore. Il n’y qu’à voir les gros succès de ces dernières années : Monster Hunter, Borderlands,
Vanquish, Call of Duty, Battlefield, Castlevania, God of War, etc… Que des jeux
dont la violence est, parfois, extrême (Borderlands ou Vanquish par exemple).
Chez les indés, c’est une tendance qu’on retrouve beaucoup aussi : Hell
Yeah, Braid, Hotline Miami, Binding of Isaac, Castle Crashers sont autant
de titres dont l’univers, et par extension les graphismes, offre une grande
violence aux joueurs.
Ne
méprenez pas mes propos : violence ne veut pas dire nul ou con. Ces jeux
sont bons, et certains sont même drôles (comme Borderlands ou Hell Yeah). Je défends
la créativité et je pense que si un créateur veut faire un jeu violent, il en a
le droit. Le problème, c’est qu’il y a une limite entre créer ce qu’on veut et
refaire en permanence le même type de jeu. On critique souvent l’omniprésence
des FPS et des TPS dans les nouveautés triple-A, je critique beaucoup plus, pour
ma part, l’hégémonie de la violence dans les IP les plus célèbres.
Je
critiquerais un peu plus loin mon propre avis, en voyant s’il est possible de
faire un jeu au scénario fort et au message prégnant sans passer par un univers
violent et sombre. Ici néanmoins, je souhaite faire celle de la démarche
amenant à la création de ce genre d’univers.
Je
crois que la principale raison de leurs existences, c’est la demande populaire.
A l’instar des films ou des BD, les gens veulent de la violence. Ils pensent
que c’est mature. Le gore est le nouveau Graal de l’humour, il suffit, pour
s’en persuader, de voir les « running-gag » des Youtubeurs :
flingues, tirs dans la tête, blessures visibles et sanglantes, gore, sexe. On
assiste à une absurde surutilisation de la violence extrême, qui aurait été
choquante il y a quelques années de ça.
Les
gens demandent de la violence, mais réfutent surtout le
« gentillet ». Un univers sans morts par milliers, avec de belles
couleurs et des musiques naïves (à l’instar de Pokémon), sont typiquement et instantanément classés comme
« naïf », pour « enfants ». Cela, on le doit selon moi à
deux choses :
D’une part, la publicité, et plus généralement le marketing, autant du jeu vidéo que des autres médias. Celui-ci, dès la Megadrive, a voulu montrer une image « mature » du jeu vidéo. Et comment on montre une image « mature » ? avec du sang, du gore et de la violence… Un exemple récent des dérives marketing est le jeu Alice : Retour au pays de la folie, dont American McGee à critiquer les marketeux d’EA qui ont détournés, à des fins purement commerciales, le sens qu’il voulait donner à son jeu.
D’autres parts, leur relation avec le réel. Vous le savez tous, la vie c’est de la merde (du moins selon un paquet de gens dont je ne partage pas l’avis), et ceux qui le pensent veulent voir des jeux avec des héros qui en bavent. Un monde coloré à la Kirby ou Toki Tori 2, trop éloignés de nos préoccupations, n’arriveront pas à agripper ceux qui ne peuvent se départir de leur vision du monde, ou simplement de leur mentalité d’adulte.
Est-ce
vrai ? Doit-on dénigrer un type de jeux à l’esthétique
« coloré » et aux scénarios
moins sombre, sous prétexte qu’ils ne nous sont pas spécifiquement
destinés ?
Bien
sûr que non.
Tout
d’abord, il faut interroger la notion de « destinataires ». Quand Rockstar fait un GTA, le font-ils pour
tout le monde ? pensent-ils aux millions de personnes n’ayant pas dix-huit
ans, prenant du plaisir à tuer par milliers des passants ? Non. Le public
visé par Rockstar est très
clair : c’est celui des adultes, bercés par la culture populaire et le
cinéma américain. Mais c’est aussi, et surtout, le gamer, avide d’univers
ouvert et d’interactions infinies : il n’y a pas qu’un seul destinataire,
il y en a un paquet.
Pensez-vous
que Nintendo, de même, ne vise qu’exclusivement les enfants, juste par leurs
environnements colorés ? Non, ils visent tout le monde, et développent des
univers aussi intriguant pour les enfants que charmant pour les adultes. Si un
GTA saura remplir le cœur des joueurs de fun décomplexé, les jeux estampillés
Big N n’ont pas leur pareil quand il s’agit de l’émerveiller.
Pourtant,
à part Metroïd, tous les jeux Nintendo sont très naïfs. Pas de sang ni de
meurtres, tout est mignon et coloré. Ce qui fait leur intérêt ce sont au
contraire leurs univers, leurs gameplays : les jeux Nintendo sont connus
pour leurs systèmes de jeu profond, maniables et irrémédiablement fun, aussi
bien que par leurs univers originaux et attachants.
Mais
revenons-en à nos moutons : le « sombre » des jeux actuels. Et
bien justement, Nintendo et quelques autres studios (Thatgamecompany,
WayForward, Tale of Tales, Sony Japan) proposent ce que j’ai sobrement baptisé
« L’esthétique du bonheur », ce qui les inscrits en porte-à-faux de la
production vidéo ludique moderne.
Loin des jeux sombres et violents de studios comme Gearbox ou Infinity Ward, les Zelda/Mighty Switch Force/Rain et autres Flower veulent proposer autre chose. Des univers ou, justement, le bonheur n’est pas toujours de mise mais où il est un objectif, un but à atteindre : qui ne s’extasie pas, par exemple, devant un champ de fleur ré-éclot dans Flower ou la traversée d’un Duck Tales Remastered ? Pas de violence ni de mauvaises pensées ici : le joueur doit s’y sentir bien avant tout.
Loin des jeux sombres et violents de studios comme Gearbox ou Infinity Ward, les Zelda/Mighty Switch Force/Rain et autres Flower veulent proposer autre chose. Des univers ou, justement, le bonheur n’est pas toujours de mise mais où il est un objectif, un but à atteindre : qui ne s’extasie pas, par exemple, devant un champ de fleur ré-éclot dans Flower ou la traversée d’un Duck Tales Remastered ? Pas de violence ni de mauvaises pensées ici : le joueur doit s’y sentir bien avant tout.
Pour
autant, sont-ils moins intéressants qu’un Call of Duty ou un The Last of Us,
par exemple ? C’est à nuancer.Prenons
le cas de Call of Duty. Vous connaissez tous cette série, hautement critiquée,
de FPS multi-joueurs, je n’en doute pas. Pourtant, difficile de les recommander
uniquement pour leurs scénarios ou leur univers : ce qui retient et attire
le chaland, c’est bien le gameplay, en particulier quand il est applicable en
multi.
The Last of Us inverse cette position. Il paraît très difficile de recommander
ce dernier pour son multijoueur, anecdotique : pourtant, n’importe quelle
personne saine d’esprit vous le conseillera chaudement pour son histoire, son
univers et ses graphismes.
Ces
deux jeux partagent pourtant un point commun : leurs univers respectifs
sont sombres, et la violence y est omniprésente. L’un la met au service du
gameplay, l’autre de la narration.
On
peut voir, via ces exemples, que le jeu « mature » et le jeu « naïf »
se ressemblent, au fond, quand à ce qu’ils souhaitent offrir. Une différence
est pourtant de taille : leurs univers ne sont pas violents.
Pourtant, personne ne vous les décriras en arguant le fait qu’ils s’adressent
aux enfants : bien sûr que non, ils sont intéressants pour ce qu’ils sont,
des jeux vidéo, et non par leurs destinataires supposés.
On
peut même pousser la comparaison plus loin en détruisant l’argument-phare des
détracteurs de l’esthétique du bonheur : « ces jeux ne sont pas
matures ».
Sérieusement,
pensez-vous un instant qu’un jeu comme Borderlands
soit mature ? Qu’un COD propose autre chose qu’une semi-caricature de propagande
américaine ? Qu’un God of War soit une œuvre intelligente ? Évidemment
que non ! Ces œuvres, si elles sont violentes et parfois subversives (particulièrement
visible dans Borderlands), ne proposent jamais plus de réflexion que ça. Leurs
trames, si elles ne manquent pas d’intérêt, ne font jamais preuve d’une
maturité à la The Last of Us ou Spec Ops : The Line, et ne fournissent au
joueur qu’un contexte ou ses pulsions primaires pourront s’exprimer, dans
retenue.
A ceux-là,
une envie m’étreint : pourquoi considérez-vous un scénario uniquement à
travers le prisme de sa narration ? Regardez Metroïd, et surtout cet excellent article de Kotaku pour comprendre tout ce que vous ratez à
être si fermé d’esprit. Les Zelda sont également à reconsidérés : ne voir
leurs scénarios que comme une répétition du schéma antique « héros-princesse-château »
serait passer à côté de l’univers, du background et du méta-scénario plus ou
moins caché de la saga, qui nous a été dévoilé récemment au travers, notamment, d'une frise chronologique auparavant obscure.
A ceux
qui fustigent le pseudo non-renouvellement de Nintendo, je vous invite
simplement à considérer leurs nombreuses séries différentes, puis à regarder quels
sont les jeux monopolisant le plus votre temps : vous verrez, ensuite, si
c’est bien à eux qu’il faut faire le reproche…
Si
je défends tant Nintendo, c’est parce qu’ils sont les derniers, parmi les
grands, à défendre cette fameuse « esthétique du bonheur » qui m’est
chère, et non par pur dédain d’univers sombres et d’histoires noires.
Pourtant,
cette « esthétique du bonheur » était monnaie courante durant l’ère
SNES jusqu’à la Saturn. Sans nier l’aspect plus enfantin de la production d’alors,
nombre de pépites savaient proposer un univers singulier sans le rendre
dépressif et sanglant : Final Fantasy VI ou Chrono Trigger, par exemple,
proposaient un scénario riche (par scénario, j’entends l’ambiance comme l’histoire)
qui, sans être dépourvus de morts, pouvaient se targués de « maturité »,
sans le désespoir qui accompagne généralement ce genre d’adjectif.
Si
ces jeux font partis intégrante de cette esthétique, c’est parce qu’ils
arrivent, au-delà d’un « pitch » de départ sombre, à se départir de
tout fatalisme pour nous montrer que l’espoir survit, et que le « bonheur »
doit toujours être un objectif (dans la plupart des jeux, celui-ci est gagné en
sauvant le royaume). Dans les Call of ou les Borderlands, il n’y a pas de « bonheur »
à atteindre, pas de fin vraiment heureuse : tout n’est que tuerie et
survie jusqu’à la conclusion, sans autre espoir que de survivre.
Un
dernier point que j’aimerais critiquer, ayant rapport au « sombre »
du jeu vidéo, est l’humour. Celui-ci est, très largement, soit un déluge de
gore granguignolesque (Yaiba : Ninja Gaiden Z, Madworld), soit un déluge de
stéréotypes et de beauferies (Duke Nukem). J’ai un problème avec ce type de
démarche : qu’y a-t-il de plus simple que de faire rire quelqu’un en
faisant, par exemple, tomber un inconnu dans la rue ? C’est le même
principe dans la démarche de ces œuvres : offrir au spectateur un show
violent et primaire, ou le joueur rit de la souffrance des ennemis uniquement.
Heureusement,
cette humour est contrebalancé par un autre, beaucoup plus léger (et drôle),
devenant de plus en plus majoritaire : l’humour cartoon. Portal, Earthworm
Jim, The Stanley Parable, Jazzpunk : autant de jeux qui, loin du gore et
de la violence extrême, en proposent un, parfois noir (Portal), parfois bien
plus léger (Jazzpunk, E.W). Un humour plus travaillé aussi, qui prend celui-ci
comme objet principal pour en faire l’intérêt premier du soft. Un humour,
oserais-je le dire ? Intéressant et drôle, au contraire de bien d’autres
œuvres, et qui cherche avant tout l’hilarité du joueur plutôt que son
défoulement brutal.
La
réponse est oui. La-aussi pourtant, un constat s’impose : sans un minimum
de violence ou de « sombre », il paraît illusoire de créer une œuvre scénaristiquement
intéressante. Même Nintendo, tenants d’une politique d’antiviolence, proposent
avec Metroïd un univers de cet acabit. L’opposition « Esthétique du
bonheur » et « Univers sombre » est donc de rigueur : la
morosité et la violence gratuite de beaucoup de jeux devraient s’inspirer de la
relative naïveté des œuvres se réclamant de cette esthétique, quand les jeux
jouant à fond celle-ci devraient chercher à proposer des enjeux scénaristiques
plus fort. Plus qu’un divertissement, le jeu vidéo est devenu un art, et comme
tout art il se doit de présenter sa vision du monde, avec autant de nuances et
de différences qu’il existe de créateurs.
Le cœur du problème est bien là : le pluralisme. Face à une industrie engoncée dans ses illusions de « maturité », qui ne propose presque exclusivement que des titres violents et sanguignolents, les indépendants et Nintendo paraissaient la seule solution à même de satisfaire les gamers lassés de cet état d’esprit. Malheureusement, les difficultés de Nintendo et la propension des indés à reprendre l’esthétique gore et malsaine dans leurs œuvres tendent à réduire nos espoirs à peau de chagrin.
Pourtant,
il apparaît que cet état de fait à une explication simple : quand on est
un créateur souhaitant aborder des thèmes sérieux et matures, il paraît très difficile
de ne pas recourir à un univers forcément plus sombre que celui de Mario.
Le
sombre, une esthétique destinée à s’imposer ? Possible. En l’état
pourtant, c’est bien à une tartufferie d’éditeurs auquel nous avons affaire :
guidés par des marketeux obnubilés par l’argent, suivis par des gens peu au
fait de techniques publicitaires toujours plus pernicieuses et succombant aux
tendances pessimistes de notre monde, ce type d’esthétique à encore une longue
route devant elle avant de comprendre qu’elle s’est trompée de chemin.
A ce
moment-là, Nintendo et d’autres studios, plus guidés par la passion que par l’argent,
jubileront.
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